L’éditorial d’Alexis Brézet, directeur des rédactions “Le Figaro”
C’était une guerre, une vraie guerre. Nous le savions, mais au fond nous préférions ne pas le voir. Grisée par le spectacle de sa propre émotion, la France de «l’après-Charlie» avait décidé d’ensevelir sous les fleurs d’une rhétorique trompeuse le souvenir douloureux des événements – terribles – du mois de janvier dernier. Au fil des semaines, l’horreur avait fini par prendre un caractère quasi symbolique et presque irréel. Il fallait, pour le confort intellectuel de tous, que la parenthèse fût promptement refermée.
Des alertes, nombreuses, auraient pourtant dû nous persuader de la persistance du mal. Mais ces projets criminels déjoués par la police (à Villejuif, à Toulon et ailleurs) nous ont installés dans l’illusion d’une fausse sécurité. Quant à ceux – policiers, magistrats, intellectuels… – qui s’évertuaient à clamer le contraire, le chœur des vierges du «vivre ensemble» a eu vite fait de les disqualifier. «Oiseaux de malheur», «islamophobes»: l’essentiel, n’est-ce pas, était de ne pas «stigmatiser»…
Après les sommets d’abomination barbare atteints dans la nuit de vendredi à samedi, ces illusions ne sont plus de mise. C’est une guerre, une vraie guerre, qui nous est déclarée: la guerre du fanatisme islamiste contre la France, l’Europe, l’Occident et contre toutes les valeurs d’une civilisation qui a inventé la démocratie. Cette guerre, maintenant chacun l’a compris, ne fait que commencer.
De cette armée du crime qui nous vise, les chefs sont établis à l’étranger, mais c’est chez nous, dans les rangs de la jeunesse française, qu’ils recrutent certains de leurs assassins, prêts à mourir aux cris d’«Allah akbar!» pour accomplir leur monstrueuse besogne. Ce n’est pas en leur opposant des badges, des tweets, des marches silencieuses, des vidéoclips ou des «chartes de la laïcité» que nous les ferons reculer! L’union nationale, qui, en temps difficile, évidemment s’impose, ne sera qu’un slogan vide de sens si, une fois encore, elle est l’édredon sous lequel on étouffe les réalités qui dérangent. L’union bien sûr, mais autour d’une politique d’autorité, de courage, de constance et de vérité…
François Hollande, dans son intervention de samedi, s’est enfin décidé à nommer le mal. Sans finasser, il parle – c’est nouveau – de «guerre», de «Daech» et de «djihad». Mais Manuel Valls aussi, après Charlie, avait su trouver les mots. Et la suite a montré que, face aux barbares, les mots n’étaient pas suffisants…
Bien sûr, depuis janvier dernier, la France a renforcé sa garde, en matière de renseignement notamment. Bien sûr, un effort financier bienvenu a été consenti en faveur des forces de sécurité et des armées. Mais, pour ces quelques progrès, combien de mâles promesses restées sans suite? Et combien de projets coupables, comme cette réforme de la justice des mineurs qu’hier encore Mme Taubira prétendait faire adopter?
C’est avec cette culture de l’angélisme et du déni que le gouvernement doit maintenant rompre totalement, s’il veut se montrer à la hauteur du défi historique qu’affronte notre pays.
Comment comprendre, par exemple, que tant de prédicateurs radicaux puissent impunément continuer d’appeler la jeunesse à s’en prendre à la démocratie, aux juifs et aux chrétiens? La Tunisie a mis les siens hors d’état de nuire. Pourquoi la France ne le ferait-elle pas?
Comment admettre que les jeunes Français partis «apprendre» le djihad en Syrie ou en Irak ne fassent l’objet, tout au plus, que d’une «surveillance policière» lorsqu’ils reviennent chez nous? À l’évidence, leur place est en prison ou dans un autre pays.
Qui peut enfin, dans un autre domaine, se satisfaire de cette diplomatie de gribouille qui prétend – à juste titre – combattre Daech en Syrie, mais qui refuse obstinément de soutenir son principal adversaire, la Russie, au motif qu’elle appuie le régime de Bachar el-Assad? Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Depuis vendredi soir, peut-on encore nourrir la moindre hésitation?
Sécurité, justice, diplomatie, contrôle de l’immigration: c’est tout cela qu’il faut revoir si nous voulons répondre à la menace. Sans nous embarrasser davantage d’arguties juridiques ou d’afféteries moralisatrices. Les démocraties sont attaquées: elles ont le droit – et le devoir – de se défendre. Contre la brutalité, il n’est qu’un principe: la force. Contre la sauvagerie, qu’une loi: l’efficacité. On se souvient de Clemenceau: «En politique intérieure, je fais la guerre. En politique extérieure, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre.» Pour gagner la guerre, il faut la mener.